Cet article explore le potentiel de l'éducation expérientielle pour les étudiants dans le domaine de la culture de l'information. Plus précisément, il étudie les expériences d'utilisation de l'information à des fins d'apprentissage et d'acquisition de connaissances, en se concentrant sur la matérialité et les dimensions sensorielles/sensibles de ces expériences : accorder une attention égale aux choses, aux objets, aux matériaux et aux expériences sensorielles (Thrift, 2008 ; Savolainen, 2020). Dans cette optique, l'information est comprise au sens large, comme "liée à l'information" : une chose est une information si elle est informative (Bukland, 1991). L'idée est que les étudiants ne sont pas des êtres cognitifs désincarnés (Bruner, 1986, p. 5), ce sont des êtres actifs qui apprennent par l'action et les expériences (Dewey, 1925), des agents actifs dans le processus historique de construction de leur propre monde (Bruner, 1986) ; et que dans ce processus, le corps a un rôle actif, productif et sensuel, tout au long des activités d'information : chaque objet, chaque matériau constitue un chemin vers la connaissance, chaque geste exprime un devenir au service de sa construction (Ingold, 2018). L'expérience de terrain est inductive, elle est à la fois un voyage de découverte du monde et de découverte de soi.
Dans cette perspective, renvoyant à un soi actif, articulant le sensible et le social (Laplantine, 2009), l'expérience est créatrice. De l'expérience primaire, dans sa version subjective, manière d'éprouver le monde, à l'expérience secondaire, plus réflexive, qui la clarifie en l'organisant, l'expérience est formatrice et transformatrice ; elle participe à la création de connaissances utiles (Dewey, 1925). La connaissance se construit donc dans le flux des expériences, avec des phases d'autoréflexion et de distanciation ; ce n'est pas un processus linéaire et mécanique. La culture - comme la culture de l'information en tant que "culture" - est vivante, sensible au contexte et émergente (Bruner, 1986).
Nous proposons d'investiguer et de questionner ici ces différents rapports aux matériaux, aux objets et à l'information, impliqués dans le processus d'apprentissage et de construction des savoirs, en considérant comment les savoirs sont informés par l'expérience, mettant en alerte le corps et l'esprit dans un même mouvement. Par ailleurs, nous proposons de mener cette investigation et ce questionnement dans une perspective anthropo-sociale, en nous intéressant aux dynamiques qui émergent, en prêtant attention à l'ordinaire, au banal, mais aussi à l'inattendu ou à l'événement, à ce qui " arrive et devient " (Laplantine, 2022).
Les données empiriques qui nourrissent cet article sont issues d'un projet de recherche en contexte scolaire, toujours en cours dans sa partie qualitative (2019 ; 2020 ; 2021). Il s'agit de données ethnographiques, recueillies dans la durée, en immersion, au plus près des acteurs, sans grille a priori (qui orienterait vers un système interprétatif), mais avec une exigence de globalité (observations riches, entretiens, conversations informelles, documents, photographies). En cohérence avec cette approche, les références à un univers interprétatif restent ouvertes : fonctionnant comme des points de départ, des leviers théoriques (vs. cadre), elles forment un espace ouvert à la réflexion, à l'intuition et à la mise au jour des significations.
Pour cet article, nous nous concentrons sur trois projets observés dans des écoles secondaires, visant à ouvrir l'école sur le monde, au-delà de l'espace scolaire, et dans lesquels les dimensions sensibles/sensorielles jouent un rôle important (la marche, comme chemin d'apprentissage ; la production créative utilisant les cinq sens ; le bricolage et la fabrication dans les fablabs/bibliothèques). Le passage par le matériel, le sensible, le sensoriel est d'un grand potentiel heuristique dans la construction de la connaissance et de la culture.
Références
- Buckland, M. K. (1991). Information as thing. Journal of the American Society for Information Science, 42(5), 311–388.
- Dewey, J. (1925). Experience and nature. Chicago: Open Court Publishing.
- Ingold, T. (2018). Anthropology and/as education. London: Routledge.
- Laplantine, F. (2009). Le social et le sensible. Paris: Téraèdre.
- Maury, Y. (2019). Expériences sensibles en bibliothèque: Peut-on parler d’un tournant? Revue Cossi, 6, 27–40.
- Maury Y., & Kovacs, S. (2020). In-former le territoire local par l’exercice scolaire. In C. Tardy & M. Severo, Dispositifs du visible et de l’invisible dans la fabrique des territoires (pp. 59–78). Paris: L’Harmattan.
- Maury Y., & Kovacs, S. (2020). In-former le territoire local par l’exercice scolaire. In C. Tardy & M. Severo, Dispositifs du visible et de l’invisible dans la fabrique des territoires (pp. 59–78). Paris: L’Harmattan.
- Maury Y., & Kovacs, S. (2020). In-former le territoire local par l’exercice scolaire. In C. Tardy & M. Severo, Dispositifs du visible et de l’invisible dans la fabrique des territoires (pp. 59–78). Paris: L’Harmattan.
- Savolainen, R. (2020). Elaborating the sensory and cognitive-affective aspects of information experience. Journal of Librarianship and Information Science, 52(3), 671–684.
- Turner V. W. & Bruner, E. M. (1986). The anthropology of experience. Urbana and Chicago: University of Illinois Press.
Yolande Maury
Université de Lille, France